Anti...

Tu m'écris :

« De toute évidence, nous avons une sensibilité commune, antiraciste en particulier. Je dois toutefois te signaler une divergence. Ton site m'a appris que tu avais démissionné du SNES que tu accuses ou soupçonnes d'antisémitisme. Pour ma part, je pense qu'on peut parfaitement être anti-sioniste sans être pour autant antisémite. Même s'il est vrai que des antisémites peuvent se dissimuler sous le masque de l'antisionisme. La frontière n'est évidemment pas toujours étanche et le problème est complexe. Mais je pense que tu ne soupçonneras pas des personnalités comme Maurice Rajfus (qui compte parmi mes amis) ou Esther Benbassa d'antisémitisme... »

Je reconnais volontiers « qu'on peut parfaitement être anti-sioniste sans être pour autant antisémite » et que  Maurice Rajsfus et Esther Benbassa et sans doute beaucoup de leurs compagnons de route sont au-dessus de tout soupçon d'antisémitisme. Il me semble toutefois que les deux cas sont bien différents : la seconde, « Juive sans Dieu », condamne la politique actuelle des dirigeants sionistes mais elle tient à ce que soit préservée l'oeuvre des fondateurs sioniste, à savoir l'existence même de l'État juif d'Israël ; si elle revendique ou accepte l'étiquette d'antisioniste, cela ne me paraît pas très cohérent. Sinon, et bien que mes raisons soient différentes, je partage en toute modestie cette position. Maurice Rajsfus est antisioniste par héritage familial, si j'ai bien compris, et surtout parce que son analyse d'historien et de militant l'a conduit à estimer que le sionisme était une mauvaise solution au sort que l'histoire a réservé aux Juifs, parce qu'il créait plus de problèmes qu'il ne pouvait en résoudre, en lésant gravement les Palestiniens, injustice qui ne pouvait que déboucher sur un conflit inextricable. Mais je ne connais pas assez sa pensée pour savoir si, comme les dirigeants du S.N.E.S., il conclut de ces prémices qu'il faut soutenir toutes les exigences arabes et palestiniennes au nom de la défense des faibles et passer l'éponge sur leurs propres excès. Dans ce cas, j'ai le regret de dire, malgré le respect qu'il m'inspire, qu'il fait preuve de beaucoup de naïveté, ce qui est déjà arrivé à d'autres hommes généreux, de grande expérience et de grand savoir.

Je crois avoir bien expliqué les raisons que j'avais de quitter le S.N.E.S. qui avait rompu avec sa politique traditionnelle - aider les acteurs du conflit à dialoguer en commençant par les hommes et femmes de bonne volonté des deux bords, sans prendre parti dans un problème en effet très complexe. Ma lettre à Pierre Stambul publiée sur ce site sous le titre Crimes de guerre explicite ce choix. Si je regrette aujourd'hui, en te lisant, l'amalgame trop rapide que j'ai fait entre antisémitisme et antisionisme, « Même s'il est vrai que des antisémites peuvent se dissimuler sous le masque de l'antisionisme. La frontière n'est évidemment pas toujours étanche. » comme tu le dis toi-même, je n'ai rien à en retrancher.

Mais je voudrais aller plus loin : je refuse sans exception toutes les prises de parti anti-quelque chose. Être anti-, cela veut dire rejoindre une meute où se mêlent des gens aux motivations généreuses et des individus dont les buts sont inavouables, avec le risque pour les premiers d'être manipulés et instrumentalisés par les seconds. J'ai toujours défendu ce que les communistes nommaient des « libertés formelles » et condamné les crimes staliniens (du moins dès que j'ai pu y croire), mais je ne me suis jamais enrôlé sous les bannières anticommuniste et antistalinienne, qui recouvrent tant de marchandises douteuses. Quant à l'antifascisme, je ne puis oublier qu'au sein même des Brigades internationales les commissaires du peuple du NKVD procédaient gaiement à l'élimination physique des anarchistes !

En un mot, je refuse de hurler avec les loups.

Mardi 4 mai 2010