Naissance

« Tu enfanteras dans la douleur  » (Genèse )

Maman m'a souvent raconté ma naissance. Quand elle sentit les premières douleurs, mon père l'emmena en toute hâte chez Mme Figueras, une sage femme qui habitait de l'autre côte du boulevard Pereire, au 146, au coin de la rue Laugier, et préférait faire les accouchements dans son rez-de-chaussée plutôt que chez ses clientes.

J'ai bien connu cette dernière. C'était une Espagnole maigre et sympathique qui présida à la naissance de tous mes frères et sœurs. J'avais quinze ans quand elle se remit vaillamment d'un accident terrible, une voiture folle lui ayant écrasé les jambes contre les grilles qui protégeaient, boulevard Pereire, la fosse ou circulait le petit train de ceinture.

À vingt-deux ans, ma mère n'était pas mieux préparée à cet événement que, quatre ans plus tôt, au mariage, et ne savait de l'accouchement que les histoires horribles que racontaient les commères pour l'édification des jeunes femmes. Elle était donc terrorisée. Mme Figueras, heureusement, avait de l'expérience. Pour l'aider, elle lui conseilla de crier de toutes ses forces. Je n'appréciais guère d'être tiré du nid confortable où je me prélassais, et il fallut employer les forceps. C'est ainsi que je suis arrivé à 15 heures 30 dans un monde en proie à l'angoisse, accueilli par des hurlements qui ne dérangeaient pas le voisinage, qui en avait entendu bien d'autres.