François Mitterrand (1916-1996)

Ce petit homme rusé, qui mit beaucoup de talent au service de ses ambitions, nous a offert, à l'occasion de son élection, la plus belle fête républicaine qui nous ait été donnée depuis la libération de Paris. Personnage ambigu, il a trompé tout le monde, mais seuls les naïfs pouvaient s'en étonner.

Une anecdote que mon frère Michel m'a racontée sonne si juste que je dois la rapporter. Au début de sa carrière, au temps de Vichy, le jeune Mitterrand demande audience à l'évêque de Nevers. Il est introduit en présence du prélat et, tout ému, sort son mouchoir de sa poche, d'où tombe un chapelet qu’il s’empresse de ramasser avec toutes les marques de la confusion : « Ce jeune homme ira loin ! », dit l'évêque.

Une visite de Mitterrand à l'E.N.N.A. fut organisée en grand secret, au cours de laquelle devaient lui être présentées les premières manifestations de l'informatique dans nos établissements. Je reçus d'abord le ministre de l'Éducation nationale qui m'interrogea longuement sur la formation que j'avais suivie et sur celle que je dispensais. La semaine suivante, le Directeur me demanda de prolonger d'un jour le stage en cours (il s'agissait de techniciens) : il nous promettait une surprise. De fait, quand j'arrivai à l'E.N.N.A. le lundi suivant, je trouvai l'école en état de siège, peuplée de C.R.S. et de policiers en civil. Le Directeur m'informa seulement à ce moment de la raison de ce remue-ménage. J'en fis part aux stagiaires, qui éclatèrent de rire.

Je leur avais donné à écrire un petit programme. Quand Mitterrand entra, ce fut la stupeur générale. En saluant cet homme que j’avais rencontré en 1947 à Montsauche, et qui m’avait paru plus grand, je pensai à Louis XI, dont il avait plus d'un trait. Je lui présentai Fondrillon, un collègue technicien du L.E.P. qui se trouvait là, il nous demanda poliment quelques explications, se pencha sur une machine et échangea quelques mots avec les stagiaires qui y travaillaient, puis il s'en fut visiter un atelier. Je voulus tirer les conclusions du stage, mais mes gens étaient pantois, comme si le ciel leur était tombé sur la tête : ils me dirent qu'après un pareil événement, ils ne pourraient plus fixer leur attention, et nous sommes allés prendre un pot.

J'ai toujours été frappé par la force de la tradition monarchique en France, que de Gaulle a si bien su utiliser à son profit et qui se manifeste aussi dans les relations hiérarchiques par la survivance de l'esprit de cour… auquel je viens, en somme, de sacrifier !