Gvouloth, un kibboutz dans le Néguev

C'est en 1943 qu'une station agricole expérimentale a été fondée par l'Agence juive à Gvouloth (Frontières), à 30 kms à l'ouest de Beer Sheva, en même temps que Beit Eschel, près de cette ville, et Re Vivim, au sud. Le premier groupe de colons était composé d'une trentaine de jeunes hommes et femmes, âgés de 28 à 30 ans, venus d'Amérique et de Palestine. Il fut relayé en 1947 par une équipe plus jeune (dix-sept ans) originaire de Roumanie et de Turquie, qui tint bon pendant la guerre d'indépendance, où les plantations furent ravagées. Puis le village se développa, à partir de 1948, à un kilomètre à l'ouest du fortin initial.

Gvouloth apparaissait, en 1957, comme une oasis artificielle de 6000 dounams (600 hectares) située à 12 kms de la frontière égyptienne de Gaza, et née de l'irrigation : l'eau y était acheminée par pipelines, et l'arrosage se faisait à l'aide de tourniquets (mantéroth) très caractéristiques de l'agriculture israélienne de ce temps-là : ils provoquaient une pluie artificielle du plus bel effet, mais l'évaporation était considérable, et ils ont été remplacés depuis par le goutte à goutte, procédé plus économe. Les champs, les prairies, les vignes et les vergers ainsi conquis sur le désert étaient protégés du hamsin (vent de sable) par des plantations d'arbres : eucalyptus, pins, tamaris et peupliers, d'où émergeaient, de loin, la tour de guet et les plus hautes constructions du village que des barbelés entouraient, car les incursions des fedayin étaient fréquentes. Les défenses étaient complétées par des abris et des tranchées. Je fus surpris par l'aspect vulnérable de cette place-forte dont les bâtiments étaient dispersés sur une grande superficie, mais ce dispositif avait fait ses preuves. La route n'était encore qu'une piste de fin sable jaune ; quand on quittait le désert monotone, plat et parsemé de quelques touffes d'herbes, elle tranchait avec la terre noire du lœss que la charrue était allée chercher à plus d'un mètre de profondeur.

Le kibboutz était divisé en trois quartiers, selon un plan imposé par le Haartsi Chal Hachomer Hatsaïr (Groupe Palestinien de la Jeune Garde) auquel il appartenait : le chicoune ou quartier des habitations et des écoles, les immeubles collectifs (secrétariat, bibliothèque, réfectoire, douches communes, buanderie, lingerie...) et le méchek où s'alignaient les bâtiments d'exploitation : étables, poulaillers, garages, ateliers et entrepôts. Les habitations étaient disposées dans la direction nord-sud, de façon à présenter leurs fenêtres au vent d'ouest, et séparées du méchek , plus à l'est, par les bâtiments collectifs. De jeunes arbres – eucalyptus, tamaris et mimosas – commençaient à apporter un peu de variété et d'ombre. Pourtant, la construction du kibboutz était loin d'être achevée : le réfectoire (Hedera Orel) qui servait d'agora à cette jeune Sparte était une grande baraque en planches coiffée de tôles, comme les tsrifim de petites dimensions et peuplés de punaises où nous étions logés. Mais des binionim, maisonnettes de béton plus accueillantes, abritaient déjà les colons, et j'ai participé (une demi-journée) à la construction de l'école. Une belle piscine que la famille de l'un des colons avait offerte ajoutait une note insolite à l'ensemble.

Ajoutons pour terminer que la population atteignait alors 200 habitants âgés de 17 à 28 ans et issus de 25 nations. La partie « fixe » des haverim (pluriel de Haver, camarade) comptait 60 hommes et 40 femmes, venus en majorité de France, de Suisse et de Belgique, et seulement 27 couples. Le reste était composé de quatre groupes :
- le Na-Hal (jeunesse combattante et pionnière) : c'était un détachement de trente jeunes d'une section spéciale de l'armée dont les membres, après un entraînement intensif de trois mois, passaient neuf mois au kibboutz, puis optaient pour la dernière année de leur service entre la vie militaire et celle du kibboutz ;
- le Sha-Ham  : 32 volontaires issus de mouvements de jeunesse de la Diaspora, dont 24 Argentins et Sarah, qui étaient venus faire un stage d'un an à l'essai ;
- le Noar : une vingtaine d'enfants de 12 à 13 ans, orphelins ou immigrants issus de familles pauvres originaires surtout du Liban ou d'Afrique du Nord ; leur temps était réparti en quatre heures de travail pour le kibboutz et quatre heures d'école ;
- les salariés, soit une vingtaine d'ouvriers du bâtiment et deux mécaniciens, dont la présence constituait une grave entorse aux principes communautaires du kibboutz, qui avait pour idéal la construction d'une société où la propriété individuelle serait limitée aux vêtements et aux biens personnels, et où l'argent et a fortiori les salaires seraient abolis.