ÉLÉMENTS POUR BÄTIR UNE PROGRESSION

  

1. L'image ne reproduit pas le monde, elle le représente  

Qu'il s'agisse d'utiliser l'image ou de participer à sa production, professeurs et élèves ne peuvent faire l'économie d'une réflexion d'ordre sémiologique, même très élémentaire. Les grands axes sur lesquels ont été proposés divers exercices sont les suivants :

Les vieux manuels de géographie générale (classe de seconde) consacraient plusieurs pages à expliquer que la représentation sur une surface plane (la carte) d'une sphère (la terre) entraîne obligatoirement de considérables distorsions, et présentaient à l'appui les principales solutions qui avaient été historiquement apportées à ce problème, depuis Gehrard Kremer, dit Mercator (1512-1594) : dans le système de projection de ce géographe flamand, les méridiens, comme les parallèles, sont des droites parallèles : méridiens et parallèles se coupent à angle droit. Curieusement, les mêmes ouvrages présentaient aussi, mais en toute innocence, des photographies, comme si ce mode de représentation ne posait pas les mêmes problèmes, plus quelques autres...

Pourtant l'analogie, la « ressemblance » de l'image aux objets représentés n'est pas plus « naturelle » que celle des systèmes cartographiques : elle est fortement codée par chaque société, et par exemple notre système de représentation de la perspective, vieux seulement de quatre cents ans, n'est ni plus ni moins « scientifique » que celui des Chinois, ou que le système iconique des Égyptiens. Il est simplement le résultat de conventions différentes, qui naturellement ne vont pas sans implications idéologiques : à savoir une vision monoculaire (un seul œil, celui de la « camera obscura », et immobile, comme l'œil de Dieu), du moins pour la peinture et la photographie. (Voir à ce sujet les travaux de Francastel, en particulier : Peinture et société, ouvrage cité ).

Mais les codes de la ressemblance iconique (qui sont appris très tôt par le jeune enfant, mais diffèrent d'une culture à l'autre et ne sont guère appréhendés par les animaux) ne sont pas reconnus comme tels par le lecteur « naïf »  ce qui est simulacre, re-présentation, lui apparaît comme re­production de la réalité, ce qui investit l'image d'une grande force de persuasion.

En effet l'image, simulacre d'un morceau de la réalité détaché de son contexte, est aussi spontanément déchiffrée comme porteuse de sens, parce que simultanément perçue comme un objet fabriqué, un produit de l'industrie humaine.

   En résumé :

   - produit de l'activité de l'homme, elle est investie d'un sens par chaque lecteur 

   - simulacre pris pour la « reproduction » de la réalité, l'image confère au sens qu'on lui donne l'évidence du réel : le sens retenu paraît, en quelque sorte, irréfutable.

  Il importe donc d'attirer l'attention des élèves sur le caractère très codé de la « ressemblance » iconique, et sur la diversité historique des techniques et des codes mis en œuvre.

 

2. Polysémie de l'image

2.1. Mots et images sont polysémiques

Qu'un signe ou un texte puissent être polysémiques est une notion familière au littéraire : les mots sont polysémiques ; le Petit Dictionnaire du français contemporain (Larousse) ne relève pas moins de trois sens (événement malheureux, entraînant des dommages matériels ou corporels ;  événement fortuit... ; inégalité du terrain) au mot « accident », et Littré en fournit une douzaine... Encore est-ce un mot fort peu polysémique, si on le compare au verbe « faire » (90 sens environ dans le Littré). De même un texte, un poème, sont susceptibles d'innombrables interprétations.

2.2. La polysémie de l'image et celle du texte ne sont pas de même nature

1) À partir d'un signifié initial, d'autres signifiés vont se greffer sur le même signifiant par métonymie (un bordeaux = un vin de Bordeaux), ou métaphore (l'âme d'un canon), ou sous l'influence d'un terme étranger (réaliser = comprendre, de l'anglais to realize), etc. Toutes ces significations, du moins toutes celles que sa compétence peut appréhender, sont à la disposition du lecteur, qui les sélectionne en fonction du contexte. De ce point de vue, il n'y a guère de différence entre le mot et l'image, mis à part le caractère « analogique » de cette dernière.

2) Les différents sens d'un mot sont en nombre limité  étant dénombrables, ils peuvent être recueillis plus ou moins exhaustivement dans les dictionnaires. Il en va tout autrement en ce qui concerne l'image.

2.3. L'image est surtout polysémique

Certes, il y a des degrés dans la polysémie de l'image : le schéma explicatif, le dessin industriel, le panneau routier, la photographie d'un catalogue de vente par correspondance tendent même autant que possible vers la monosémie.

Mais contrairement à la croyance naïve, la plupart des images « informatives » de la presse, du cinéma, et de la télévision sont extrêmement polysémiques. En fait, les significations d'une image sont indénombrables : l'image est, à cet égard, plus proche du texte que du mot.

2.4. Une image peut être polysémique ou monosémique

La photographie d'une cantine pour enfants sous-alimentés des bidonvilles chiliens a pu donner lieu à des lectures très diverses de la part de professeurs-stagiaires de Lettres (diversité des types humains, joie d'être ensemble, ennui de la vie communautaire...) tandis que leurs élèves, parcourant d'un seul coup d'œil l'image présentée de la même manière, c'est-à-dire sans légende ni mention d'origine, lisaient tous la sous-alimentation et la misère, souvent « le camp de réfugiés », un groupe situant même très exactement la provenance de la photo. Il apparaît ici que loin de se projeter ou de s'identifier, comme les adultes, les élèves, téléspectateurs assidus, avaient simplement reconnu un type d'images qui leur était très familier.

 

3. Dénotation et connotation

Ici se pose la question fondamentale : « Comment le sens vient-il à l'image ? ». Disons très rapidement que l'image contient un certain nombre d'informations plus ou moins universellement reconnues, et que nous les interprétons en projetant sur elle :

- des grilles culturelles à travers lesquelles nous les interprétons ;

- notre propre subjectivité, et d'autant mieux que des éléments humains auxquels nous pouvons nous identifier y figurent.

On voit que par ce jeu, la même image peut être polysémique à l'intérieur d'un groupe, et relativement monosémique pour un autre. L'exemple de la cantine chilienne en fait foi...

 

4. Le texte influence la signification de l'image

L'adjonction à l'image d'un texte écrit (une légende, des sous-titres, une bulle, etc.) ou oral (commentaire d'un diaporama ou d'un film, dialogue, etc.) oriente la lecture.

À la limite, le texte peut même imposer à l'esprit du lecteur un sens absolument étranger aux informations que l'image fournit.

Ainsi, dans un diaporama, où une série de diapositives étaient accompagnées d'un commentaire qui en énonçait simplement le sujet (redondance), un seul commentaire où il était question d'un cow-boy était sans rapport avec l'image : les spectateurs priés ensuite de dresser la liste de ce qu'ils avaient vu mentionnaient tous le cow-boy !

De telles manipulations sont très fréquentes, en particulier dans la presse télévisée. Ainsi peut-on faire passer des messages tout à fait étrangers à l'image : elle donne au texte un label de « vérité ».

 

5. La redondance

Une image peut être organisée de telle façon que plusieurs de ses informations concourent au même sens. C'est le cas de beaucoup d'images publicitaires, mais non de toutes, d'autres jouant au contraire sur des transferts : crème machin = beauté, jeunesse, amour...

 

6. Sélection des éléments d'information

La diversité des lectures d'une image n'est possible que parce que chaque lecture est sélective. Comme dans la lecture d'un roman ou d'un poème, certaines informations sont retenues et organisées par le lecteur, d'autres étant négligées.

 

7. L'Effet Koulechov

De même que texte et image réagissent l'un sur l'autre, de même, de la succession d'images, peut résulter une signification nouvelle. C'est ce que Poudovkine mit en évidence dans une expérience célèbre, réalisée au « Laboratoire expérimental » de Koulechov, en 1922. Il projeta un montage où la même vue de l'acteur Mosjoukine apparaissait trois fois, en gros plan, alternant avec une assiette de soupe, un cercueil et un enfant. Les spectateurs croyaient y découvrir trois expressions différentes : l'appétit, le chagrin et l'attendrissement.

Cet effet s'applique à toute séquence d'images, même fixes : films, mais aussi bandes dessinées, romans­photos, etc.

On peut aisément démontrer l'effet Koulechov aux élèves en distribuant à différents groupes des paquets de deux photos l'une étant commune à tous les groupes, l'autre différant de l'un à l'autre groupe, et en leur demandant de donner un titre à chaque photo.

 

8. Comment amener les élèves à « lire » les images ?

Avec nos élèves, un exposé de sémiologie paraîtrait bien abstrait et resterait inopérant. Les exercices utilisés pour développer l'esprit critique des jeunes reposent presque tous sur le même principe :

- provoquer d'abord une lecture « sauvage » de l'image par les élèves, individuellement, ou en petits groupes, oralement (on les enregistre) ou par écrit ;

- puis passer à l'analyse de ces discours, en les confrontant entre eux et à l'image ; 

- enfin, faire formuler par les élèves eux-mêmes, à leur manière, les règles qu'ils auront découvertes.

De tels exercices doivent être conduits avec prudence : très proches des tests projectifs, ils peuvent déclencher de vives réactions ; on se gardera surtout de se livrer à une psychanalyse sauvage des discours recueillis.

 

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