Renart, Tibert et Ysengrin sont des personnages du Roman de Renart.

Entre Renart et Tibert s'engage une lutte qui se traduit par une série d'actions de sens opposés : voir l'hypertexte [TIBERT], Collège, niveau 1 :

 

Renart et Tibert

 

Renart est maintenant en sûreté. [...] Il voit sur un chemin Tibert le chat qui s'amuse seul sans compagnie ni escorte. Il va jouant avec sa queue et faisant des culbutes. Tout en sautant, il découvre Renart qui l'observe. Il le reconnaît facilement à son poil roux. « Seigneur, fait-il, bienvenue à vous ! » [...] « Tibert, dit Renart, j'ai entrepris une guerre fort dure et fort difficile contre Ysengrin, mon compère. Aussi ai-je engagé beaucoup de soldats et je voudrais vous prier ardemment de demeurer à ma solde, car avant que paix ne soit conclue entre lui et moi, je tiens à lui faire grand dommage. » Tibert le chat manifeste grande joie de ce dont Renart le prie. Il se tourne vers lui : « Tenez, fait-il, je vous promets de ne vous manquer jamais et de combattre volontiers le seigneur Ysengrin qui m'a nui et en paroles et en actes. »

Donc Renart l'a si bien convaincu qu'ils passent accord. Tous deux échangent leur parole. Mais Renart le mauvais ne renonce pas à sa haine du chat. Aussi se préoccupe-t-il de le trahir et y applique-t-il toute son attention. Il jette les yeux sur un étroit sentier et alors aperçoit près de l'ornière entre le bois et la route un piège fait de chêne fendu qu'un paysan a tendu. Il est assez malin pour l'éviter, mais il n'a de cesse d'y attirer Tibert pour qu'il y passe un mauvais quart d'heure. Il se met à rire : « Tibert, je vous estime parce que vous êtes valeureux et fringant, et votre monture est fort rapide. Montrez-moi comment elle court sur cette voie poudreuse. Courez sur ce petit sentier ! La voie est unie et belle. »

Tibert le chat est excité et Renart semble le diable en personne qui veut l'amener à faire une folie. Tibert est prêt à éperonner, court et s'élance à petit trot, si bien qu'il arrive au piège et quand il y est, il comprend que Renart a voulu le duper, mais il ne fait mine de rien et esquive le bois du piège en reculant d'un demi­pied.

Or Renart l'a bien observé et lui dit : « Vous trichez en faisant courir votre cheval de travers ! » Tibert s'est quelque peu éloigné. « C'est à refaire ! éperonnez donc ! et menez votre cheval plus droit ! - Volontiers ! Dites-moi comment ! - Comment ? Si droit qu'il ne dévie et ne quitte le chemin. » Tibert court à bride abattue jusqu'à ce qu'il voie le piège tendu, ne dévie point, mais saute. Renart qui a vu le saut de Tibert sait bien qu'il a compris et qu'il ne pourra être dupé.

Dans sa tête, il cherche que dire et comment le piéger. Il se rapproche et lui dit avec dépit et défi : « Tibert, j'ose le dire franchement, votre cheval est bien mauvais et ne vaut rien sur le marché parce qu'il est ombrageux et fait des écarts. » Tibert le chat se justifie énergiquement de ce dont le seigneur Renart l'accuse. Il a accéléré l'allure et recommencé maints essais.

Pendant qu'il se démène, voilà deux mâtins qui surviennent à toute vitesse, voient Renard et aboient. Les deux compères prennent peur. Ils s'enfuient sur le sentier, se bousculant l'un l'autre, si bien qu'ils arrivent tout droit où était tendu le piège.

Renart le voit et espère dévier, mais Tibert qui le serre de fort près l'a si bien poussé du bras gauche que le goupil y tombe du pied droit. Et la clef jaillit, l'engin se déclenche bien, la trappe se referme et fait grand mal à Renart en lui coinçant le pied. Beau cadeau que lui rend Tibert en le précipitant dans le piège où il sera rossé ! Quelle mauvaise compagnie que celui qui a manqué à sa parole ! Renart reste prisonnier, Tibert se sauve et lui crie à plein gosier : « Renart, Renart, vous ne bougerez, moi, je m'en vais, j'ai trop peur. Seigneur Renart, le chat n'est pas né de la dernière pluie et votre manœuvre ne vous a mené à rien. Vous allez passer la nuit ici, semble-t-il. À malin malin et demi. »

Alors Renart est dans de beaux draps, car les chiens le tiennent en respect et le paysan qui les suit lève sa hache; il s'en faut de peu que Renart ne soit décapité. Mais le coup dévie vers le piège qu'il brise. Renart retire le pied, grièvement blessé. Il se sauve, malheureux et heureux ensemble. Malheureux d'avoir le pied blessé, mais heureux d'avoir le pied entier.

 

(Le Roman de Renart, traduction d'Anne-Marie Le Corguillé)